Type de texte | source |
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Titre | Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, vol. 1 |
Auteurs | Félibien, André |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1666 |
Titre traduit | |
Auteurs de la traduction | |
Date de traduction | |
Date d'édition moderne ou de réédition | |
Editeur moderne | |
Date de reprint | Reprint Genève, Minkoff, 1972 |
(Ier Entretien), p. 76
[[4:suit Apelle Alexandre au foudre]] Ce ne fut pas le seul[[5:portrait.]] qu’il fit de ce Conquerant, qui prenoit souvent plaisir à se faire peindre par luy, sans permettre à nul autre de l’entreprendre, et se divertissoit mesme quelquefois à le regarder travailler, et à l’entendre parler, parce que sa conversation n’avoit pas moins de charme que ses ouvrages.
Dans :Apelle et Alexandre(Lien)
, IIe Entretien, p. 162-163
Ce peintre qui étoit d’un temperament jovial et facétieux, lui fit cet O dont l’on a tant parlé et qui même donna lieu à un proverbe italien.
Je vous prie, me dit alors Pymandre, de m’apprendre l’histoire de cet O, dont je n’ai pû encore sçavoir l’origine.
Je vous la dirai, si vous le voulez, repartis-je : mais je doute que vous en soyiez bien satisfait, car c’est une de ces sortes d’histoires qui ne signifient pas grand’chose, et dont cependant les auteurs font quelquefois grand bruit. Vous sçaurez donc que l’envoyé du pape ayant vu à Sienne et à Florence tous les peintres les plus fameux, s’adressa enfin à Giotto, auquel après avoir témoigné l’intention du S. Siège, il lui demanda quelque dessein pour le montrer au pape, avec ceux qu’il avoit déjà des autres peintres. Giotto qui étoit extrémement adroit à dessiner, se fit donner aussitôt du papier, et avec un pinceau, sans le secours d’aucun autre instrument, il traça un cercle, et en soûriant le mit entre les mains de ce gentilhomme. Cet envoyé croyant qu’il se moquoit, lui repartit que ce n’était pas ce qu’il demandoit, et qu’il souhaitoit un autre dessin. Mais Giotto lui repliqua, que celui-là suffisoit ; qu’il l’envoyât hardiment avec ceux des autres peintres et qu’on en connaîtroit bien la différence. Ce que le gentilhomme fit, voyant qu’il ne pouvait obtenir davantage.
Or on dit que ce cercle étoit si également tracé, et si parfait dans sa figure, qu’il parut une chose admirable, quand on sçut de quelle sorte il avoit été fait. Et ce fut par là que le pape et ceux de sa cour comprirent assez combien Giotto était plus habile que tous les peintres dont on lui envoyoit les desseins. Voilà l’histoire de l’O de Giotto, qui donna lieu aussitôt à ce proverbe italien: Tu se’ più tondo che l’O di Giotto, pour signifier un homme grossier et un esprit qui n’est pas fort subtil.
Il semble par là, dit Pymandre, que le principal sçavoir de tous ces anciens peintres consistât dans la subtilité et la délicatesse de leurs traits. Car ce fut encore par des lignes très-subtiles et très-déliées qu’Appelle et Protogene disputerent à qui l’emporteroit l’un sur l’autre ; et Protogene ne ceda à Appelle que quand celui-cy eut coupé avec une troisième ligne plus délicate les deux qu’ils avoient déjà tracées l’une auprès de l’autre. A vous dire le vrai, repartis-je, ni l’O de Giotto ni ces lignes d’Appelle et de Protogene, ne sont point capables de nous donner une haute idée de leur grand sçavoir. Il est vrai que nous voyons dans les plus anciens tableaux que les ouvriers avaient un soin tout particulier de finir et de marquer les choses fort délicatement, tâchant de représenter jusqu’aux cheveux et aux poils par des traits les plus subtils qu’il leur était possible. Et il n’y eut, comme je crois, que cette délicatesse de trait et cette parfaite rondeur que Giotto décrivit sans l’aide d’aucun instrument, qui fut cause qu’on admira cet O.
Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)
, Ier Entretien, p. 74
Car outre qu’il estoit abondant en inventions, sçavant dans la proportion et dans les contours, charmant et precieux dans le coloris, il avoit encore cela par-dessus les autres peintres, qu’il donnoit une beauté extraordinaire à ses figures ; et par un bon-heur tout particulier, il fut le premier, et presque le seul qui receust du Ciel cette science toute divine, qui sçait comme inspirer la grace et donner ce je ne sçais quoy de libre, de vif, de rare, ou pour mieux dire, de celeste, qui ne se peut enseigner, et que les paroles mesme ne sont pas capables de bien exprimer.
Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)
(Ier Entretien), p. 77
Ce fut ce tableau qui surprit si fort Appelle, qu’il confessa que c’estoit la plus belle chose du monde ; il dit neanmoins pour se consoler, qu’il y manquoit encore cette Grace, que luy seul sçavoit donner si parfaitement à ses ouvrages.
Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)
(Ier Entretien), p. 74-75
Il me souvient, interrompit Pymandre, que ce peintre est un de ceux qui a laissé le plus d’ouvrages après sa mort ; car du temps de Pline il y avoit encore à Rome plusieurs tableaux de sa main que l’on avoit en grande estime ; et j’ay remarqué que l’on faisoit particulièrement estat d’une Venus sortant de la mer nommée à cause de cela Anadyomene, que l’Empereur Auguste dédia dans le temple de son père, et je pense aussi que ce fut à la gloire de ce tableau qu’Ovide fit ces deux vers.
Si Venerem Cous nusquam pinxisset Apelles,
Mersa sub aequoreis illa lateret aquis.
Ce n’est pas de ce tableau-là, repliquay-je, dont Ovide entend parler, mais c’est d’une autre Vénus qu’Apelle avoit commencée pour les habitants de Cos, qui, à ce qu’on dit, surpassoit de beaucoup la premiere, tant dans la force du dessein, que dans la beauté du coloris ; mais la mort de cet homme incomparable fut cause que cet ouvrage demeura imparfait, qui neanmoins se trouva si excellent que nul ne fut jamais assez hardy pour entreprendre d’achever ce qui en restoit à faire.
Dans :Apelle, Vénus anadyomène
(Lien)
(IIe Entretien), p. 81
Vous sçaurez que cet Aristide a passé pour estre le premier qui a representé le plus parfaitement sur les visages toutes les passions de l’ame.
Entre ses tableaux, celuy où il representa la prise par force d’une ville, luy acquit une gloire merveilleuse à cause des belles expressions qu’il y mit.
Dans :Aristide de Thèbes : la mère mourante, le malade(Lien)
(IIe Entretien), p. 63
Mais je vous diray qu’on tient pour certain que dés le temps de Romulus, Candaule surnommé Myrsilus Roy de Lydie, et le dernier de la race des Heraclides, achepta au poids de l’or un tableau de la façon du peintre Bularchus ; où estoit représentée la bataille des Magnesiens : cependant par le prix de ce tableau qui estoit tres-considerable, et par l’estime qu’il a euë, il y a bien apparence que cet Art estoit déja fort avancé.
Dans :Bularcos vend ses tableaux leur poids d’or(Lien)
(IIe Entretien), p. 245-246
Vous pouvez bien vous imaginer qu’un triomphe de cette nature[[5:Un triomphe de Piero di Cosimo.]] mit l’épouvente dans la ville. Car la premiere fois qu’il parut, on ne s’imagina pas qu’un sujet si triste et si lugubre pust être un divertissement de carnaval. Toutefois la nouveauté de l’invention et la maniere ingénieuse avec laquelle toutes choses estoient conduites ne laisserent pas de plaire à beaucoup de monde, qui admira l’esprit et le caprice de l’inventeur.
C’est, dit Pymandre, que comme il y a certaines choses aigres et ameres où le goust prend quelquefois autant de plaisir, qu’à celles qui sont douces et délicates ; de mesme dans les passe-temps il se trouve certains sujets qui quoy que tristes, donnent du plaisir, lorsqu’ils sont conduits avec jugement. Ainsi quoy que les tragedies representent des actions funestes et fascheuses, elles ne laissent pas de divertir les spectateurs ; et mesme pour demeurer dans des exemples de peinture, j’ay souvent veu des tableaux où il n’y avait rien que d’affreux et de difforme, qui arrestoient agreablement les yeux, parce que ces sortes de choses estoient representées avec beaucoup d’art.
Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)
(Ier Entretien), p. 57-58
Comme tous les arts ont esté fort grossiers et fort rudes dans leur naissance, et ne se sont perfectionnez que peu à peu, et par une grande application ; il ne faut pas douter que celuy de la peinture aussi bien que tous les autres n’ait eu un commencement tres-foible, et ne se soit augmenté que dans la suite des temps. Mais comme la peinture est assurément fort ancienne, il est difficile de bien connoistre son origine. Pour moy je ne doute pas qu’elle ne soit née avec la sculpture, et que le mesme esprit qui enseigna aux hommes à former des images de terre ou de bois, ne leur apprit aussi en mesme-temps à tracer des figures sur la terre ou contre les murailles.
Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)
(Ier Entretien), p. 60-61
Et c’est par là, ce me semble, qu’on peut juger que l’invention de la peinture est tres-ancienne ; mais je ne vous puis pas dire qui en a esté l’auteur. Ie croy mesme qu’il seroit assez inutile d’en vouloir faire la recherche, puisque nous voyons que tous les Anciens qui en ont écrit sont de differente opinion. Neanmoins, repartit Pymandre, les Egyptiens qui ont des premiers possedé les arts et les sciences, disent que la peinture estoit chez eux plusieurs siecles avant qu’elle fust connuë des Grecs. Oüy, luy repliquai-je, mais les Grecs qui n’ont jamais manqué de s’attribuer autant qu’ils ont pû la gloire des sciences et des arts, écrivent aussi que ce fut à Sicyone ou à Corinthe, que la peinture commença de paroistre. Mais à vous dire vray, les uns et les autres s’accordent si peu touchant celuy qui en fut l’inventeur, que l’on ne sçauroit qu’en croire : ils conviennent tous seulement que le premier qui s’avisa de desseigner, fit son coup d’essay contre une muraille en traçant l’ombre d’un homme que la lumiere faisoit paroistre. Et pour donner plus de beauté à cette histoire, il y en a qui ont écrit que l’Amour qui en effet est le grand maistre des inventions, fut celuy qui trouva celle-cy, et qui apprit à une jeune fille le secret de desseigner en luy faisant marquer l’ombre du visage de son amant, afin d’avoir une copie des traits de la personne qu’elle cherissoit. Cependant nous ignorons le nom de celuy qui reduisit cette invention en pratique, et en fit un art qui est depuis devenu si noble et si excellent. Les uns veulent que ç’ait esté un Philocles d’Egypte ; les autres un certain Cleante de Corinthe ; et d’autres qu’Ardice Corinthien et Telephanes de Chiarenia au Péloponnèse, ayent commencé à desseigner sans couleurs et avec du charbon seulement ; et que le premier qui se servit d’une couleur pour peindre, ait esté un Cléophante de Corinthe, qui pour cela fut surnommé MONOCROMATOS.
Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)
, Préface (numéro t. I) , non pag.
Mais mon dessein estant de faire voir en notre langue ce qu’on a écrit d’eux en latin et en italien, j’ay tâché de ne rapporter que ce qu’il y avoit de plus considérable, et qui pouvoit davantage instruire et divertir tout le monde. C’est pour cela que je n’ai pas voulu écrire une infinité de petites histoires et de contes assez fades, dont Vasari a rempli ses livres, et que j’ay laissé tous ces grands catalogues de tableaux qui grossissent les volumes de ces auteurs italiens. Mais en échange j’ai pris soin de marquer quelques actions et quelques évenements particuliers auxquels les peintres dont je parle ont eu part ou qui leur ont donné sujet de faire quelques ouvrages. Je ne défere pas aussi toûjours au jugement de ces écrivains, car je prétends estre dans un païs de liberté où l’on peut dire son sentiment sur toutes sortes de tableaux, et rendre témoignage à la verité en toutes choses.
Dans :Fortune de Pline(Lien)
, Ier Entretien, p. 73
Ie ne sçay si je vous dois parler davantage de cet homme merveilleux[[5:Apelle.]], puisque sa reputation est si grande qu’il seroit inutile de vous en entretenir plus longtemps.
Tout ce que vous rapporterez, dit Pymandre, me sera toûjours non seulement tres-utile, mais encore fort agreable, quand mesme j’en aurois déja connoissance ; c’est pourquoy ne me cachez rien je vous prie de ce que vous sçavez de ces grands hommes, si vous ne voulez diminuer le plaisir que je reçois en vous en entendant discourir.
Dans :Fortune de Pline(Lien)
, IIe Entretien, p. 92
Sçavez-vous, me dit-il, que j’ay de la peine à ne pas croire qu’il ne soit de la peinture ainsi que de toutes les autres choses pour lesquelles on a toûjours une haute estime dans les temps où elles sont en credit ? Car lorsque je regarde tant de rares tableaux que l’on fait aujourd’huy, et que je pense encore à ceux que nous avons veus autrefois à Rome, je ne puis m’imaginer que les Appelles et les Protogenes en aient fait de plus excellents que ceux-là.
Quand nous n’aurions pas, luy repartis-je, le témoignage des plus sçavans historiens de l’antiquité, vous sçavez bien que par les statuës qui sont demeurées entières jusqu’à present, nous pouvons juger du mérite des peintres de ce temps-là qui assurément n’estoient pas moins habiles que les sculpteurs, puisque les uns et les autres prenoient tant de peine à se rendre sçavans. Car si Zeuxis apporta un si grand soin à bien observer dans les filles de la Grece les mieux faites, ce qu’elles avoient de plus parfait et de plus agréable pour representer cette fameuse image d’Helene ; il ne faut pas douter que les autres peintres qui estoient alors en grande reputation ne travaillassent de mesme à rendre leurs ouvrages accomplis. Mais nous pouvons dire que des peintres modernes il n’y en a guere qui se rendent aussi considerables que ces Anciens, parce qu’il y en a peu qui s’adonnent comme ils devroient à l’étude d’un art qui demande une si forte application.
Dans :Fortune de Pline(Lien)
, IIe Entretien, p. 120
A vous dire le vrai, repartis-je, ny l’O de Giotto ny ces lignes d’Appelle et de Protogenes ne sont point capables de nous donner une haute idée de leur grand sçavoir.
Dans :Fortune de Pline(Lien)
, p. 87
Un autre peintre nommé LUDIUS fut en grand credit sous Auguste ; il excelloit principalement en grandes imaginations ; et ce fut luy qui le premier commença de peindre dans les ruës de Rome contre les murailles y feignant de l’architecture et toutes sortes de paysages.
Dans :Ludius peintre de paysages et la rhopographia(Lien)
(Ier Entretien), p. 71-72
Ce Pamphile estoit natif de Macedoine, et fut celui qui joignit à l’art de la Peinture l’estude des belles Lettres. Il en tira un si grand secours qu’il acquit une reputation extraordinaire.
Entre tant de belles Sciences qu’il possedoit, il savoit parfaitement les Mathematiques ; et les croyoit si necessaires pour la peinture, qu’il disoit souvent qu’un Peintre qui les ignore ne peut estre parfaitement sçavant dans sa profession.
Mais remarquez, s’il vous plaist, que le merite des personnes honore les Arts et les Sciences, de mesme que les Arts et les Sciences rendent recommandables les personnes qui les possedent. Car lors qu’un homme n’excelle pas seulement en son Art, mais qu’il a encore d’autres belles qualitez, il se fait un rejailissement de son merite sur l’Art dont il fait profession qui donne de la noblesse à ses ouvrages. C’est pourquoy comme Pamphile n’estoit pas un homme du commun, qu’il avoit l’esprit éclairé de plusieurs Sciences et de belles Notions qui le faisoient rechercher de tout le monde, il donna un si haut éclat à l’Art de la Peinture, que mesme les personnes de condition desirerent de s’instruire dans une Science où ils trouvoient tant de beautez et de charmes.
Il ne refusa pas son assistance à ceux qui voulurent apprendre de luy ; mais afin que cet art ne tombast pas dans le mépris qu’on fait d’ordinaire des choses qui sont fort communes, il obtint par son credit qu’il n’y auroit que les enfants des nobles qui s’exerceroient à la peinture, et qu’on défendroit aux esclaves de s’en mesler ; ce qui fut fait par un edit public, premierement à Sicyone, et en suite par toute la Grece.
Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)
(Premier Entretien), p. 68
Ce Parrhasius dont je viens de parler augmenta beaucoup cet Art. Il fut le premier qui observa la symetrie, et qui fit paroistre de la vie, du mouvement, et de l’action dans ses figures ; il trouva le moyen de bien representer les cheveux : et Pline remarque qu’il estoit celuy de tous les peintres de son temps qui avoit le mieux sceu arrondir les corps, et fait fuïr les extremitez pour faire paroistre le relief. [[4:suite : Parrhasios orgueil]]
Dans :Parrhasios et les contours(Lien)
(Premier Entretien), p. 69-70
Demon Athenien[[6:Félibien confond Parrhasius avec un certain « Démon », nom d’un tableau de Parrhasius.]] fut encore sçavant en cet Art et s’étudia à donner de l’expression aux visages. […] Mais la vanité insupportable de ce peintre diminuoit beaucoup l’estime qu’on avait de luy : car semblable à plusieurs de ces ouvriers d’aujourd’huy il se loüoit sans cesse lui-mesme, et ne pouvoit souffrir qu’on ne le préférast pas à tous les autres. Il estoit toûjours vestu d’une maniere particuliere ; et pour estre encore plus respecté il se disoit estre de la race d’Apollon, faisant croire qu’il avoit souvent communication avec Hercule qui luy apparoissoit en dormant, et que le tableau qu’il en avoit fait étoit tout semblable au naturel [[1:Ce tableau estoit à Lyndos dans l’Isle de Rhodes]]. Cependant ayant fait un tableau d’Ajax Thimante le surpassa par un autre ouvrage qu’il fit ; et dans la colere qu’il en eut, il dit avec sa vanité ordinaire que son plus grand déplaisir étoit de voir que son Ajax fust surmonté par un homme indigne de remporter cette gloire.
Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)
(Premier Entretien), p. 84
N’estoit-ce pas ce peintre[[5:Pausias de Sicyone.]], interrompit Pymandre, qui eut tant d’amour pour la bouquetiere Glicere ? Luy-mesme, répondis-je, il representa dans sa passion cette fille composant une guirlande de fleurs. Ce tableau fut tellement estimé, Luculle en acheta la seule copie deux cents talents dans Athenes.
Dans :Pausias et la bouquetière Glycère(Lien)
(IIe Entretien), p. 131-132
[[2:Simon Memmi]] Entre les tableaux que Simon fit dans l’église de Santa Maria Novella, il y en avoit un de l’histoire de Saint Reinier de Pise, où il representa le Diable dans une posture qui merite bien d’estre décrite, pour vous faire remarquer de quelle maniere les peintres d’alors exprimoient les passions. On y voyoit donc comme Saint Reinier chassoit le Diable qui s’estoit présenté devant luy pour le tenter ; et le peintre pour faire connoistre la confusion et la honte du demon le peignit la teste baissée, les épaules hautes, et le visage couvert de ses mains ; et pensant exprimer encore plus fortement la douleur interieure de cet esprit de tenebres, il luy fit sortir un rouleau de la bouche, où estoit écrit, Oï me ! non posso più.
En verité, dit alors Pymandre en riant, ces expressions me font avoir une mauvaise opinion des portraits de ce Simon ; et pour moy je croirois quasi que pour bien connoistre les personnes qu’il vouloit representer, il falloit que leur nom fust au bas, et qu’il écrivist, celuy-là est Benoist XI. Celuy-cy est Petrarque ; pour ne pas prendre Madame Laure pour le Pape, et Cimabué pour Madame Laure.
Cette sorte d’écriteaux, luy repartis-je, était une coûtume introduite de la sorte que je vous l’ay dit ; et quoy qu’elle soit tres-grossiere, elle a duré néanmoins assez longtemps, mesme parmy les peintres qui n’étoient pas ignorans, et qui peut-estre ne pouvoient pas s’en dispenser. Car il arrive souvent que ceux qui font travailler, obligent les ouvriers à representer les choses à leur fantaisie ; et ainsi ceux qui sont trop complaisans font quelquefois des tableaux où il y a beaucoup à reprendre. Quoy qu’il en soit, Simon, après avoir vécu soixante ans avec assez de reputation, mourut l’an 1345.
Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)
(Second Entretien), p. 96-97
Pymandre relevoit encore le merite de la Peinture par cette merveilleuse puissance qu’elle a de nous mettre devant les yeux une image veritable des personnes que nous cherissons, et de les representer si parfaitement, qu’il nous semble, quoy qu’éloignez d’elles, les avoir comme presentes et jouïr de leur compagnie.
Ces diverses reflexions servirent à nous entretenir agreablement. Car demeurant d’accord que la peinture estoit née pour tenir lieu d’une chose reelle, et qu’elle s’estoit mise en estime par l’avantage qu’elle a de si bien representer les personnes absentes ; je dis à Pymandre qu’elle avoit pourtant acquis sa principale reputation de ce qu’on n’a point trouvé de plus beau moyen pour recompenser les vertus des grands hommes et pour rendre leur image à la posterité. Ceux d’Athenes, luy dis-je, ne dresserent une statuë à Esope qui estoit un simple serviteur, qu’afin d’apprendre à toutes sortes de personnes que le chemin de la gloire leur est ouvert, et que l’on ne rend pas honneur ny à la noblesse ny à la naissance illustre des hommes extraordinaires, mais à leur vertu et à leur merite. Car ce ne fut pas seulement le portrait de cet esclave, qui étant très laid de visage et tres-contrefait de corps n’estoit pas un sujet qui meritast d’estre regardé.
Dans :Le portrait ressemblant et plus beau(Lien)
(Premier Entretien), p. 78-79
Mais pour achever ce que j’ay à vous dire de Protogene, ce tableau de Ialysus dont j’ay parlé fut le salut de toute la ville de Rhodes lorsque Demetrius l’assigea (sic). Car ne pouvant estre prise que du costé où estoit la maison de Protogene, ce roi aima mieux lever le siege que d’y mettre le feu et de perdre un ouvrage si admirable. Et ayant sceu que mesme pendant le siege, Protogene se tenoit dans une petite maison qu’il avoit hors de la ville, où nonobstant le bruit des armes, des tambours et des trompettes il travailloit avec un esprit tranquille, il le fit venir, et luy demanda s’il osoit bien demeurer ainsi à la campagne, et se croire en seureté au milieu des ennemis des Rhodiens. A quoy il luy repartit qu’il ne croyoit pas estre en aucun peril, parce qu’il sçavoit bien qu’un grand prince comme Demetrius ne faisoit la guerre qu’à ceux de Rhodes et non pas aux Arts. Ce qui plût si fort à ce conquérant que depuis il n’eut pas moins d’estime pour sa personne que pour ses ouvrages. [[4:suite : Protogène Satyre]]
Dans :Protogène et Démétrios(Lien)
(Premier Entretien), p. 77-79
Le plus estimé de tous ses ouvrages fut un Ialysus [[1:Fils de Cercaphus et fameux chasseur qui fit bâtir une ville dans l’Isle de Rhodes à laquelle il donna son nom. Strab. lib. 14]], lequel a esté long-temps conservé à Rome dans le Temple de la Paix. On écrit que pendant qu’il travailloit à ce tableau il ne vivoit que de lupins trempez, de crainte que les vapeurs que les autres viandes envoyent d’ordinaire au cerveau, ne diminuassent la force de son esprit et n’offusquassent cette belle imagination qui le faisoit réüssir si heureusement.
Ce fut ce tableau qui surprit si fort Appelle, qu’il confessa que c’estoit la plus belle chose du monde ; il dit neanmoins pour se consoler, qu’il y manquoit encore cette Grace, que luy seul sçavoit donner si parfaitement à ses ouvrages. Protogene pour conserver la durée de ce tableau le couvrit de quatre couches de couleurs, afin que le temps en effaçant une, il s’en trouvast une autre qui fust toute fraische.
Je pense qu’il n’est pas besoin que je m’arreste à vous décrire ce tableau : je vous diray seulement qu’entre autres choses on y voyoit un chien à la perfection duquel l’Art et la Fortune avoient également contribué. Car Protogene estant en colere de ne pouvoir assez bien representer à son gré l’écume qui sort de la gueule des chiens lors qu’ils sont fort échauffez, il jetta par dépit son pinceau contre son ouvrage ; et vit alors qu’en un moment le hazard avait produit tout ce que son art n’avait pu faire en beaucoup de temps.
Je croyois, dit Pymandre, avoir oüy dire que cet accident estoit arrivé en peignant un cheval. Il est vray aussi, répondis-je, que Protogene n’a pas été le seul qui a receu de la Fortune un secours si favorable. Car la même chose arriva au peintre Neacles, lorsqu’il vouloit, comme vous le dites, representer l’écume d’un cheval. [[4:suite : Protogène et Démétrios]]
Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)
(Premier Entretien), p. 79
[[4:suit Protogène et Démétrios]] Une marque de la tranquillité toute extraordinaire de l’esprit de Protogene, est qu’en ce temps-là, et au milieu des troubles de cette guerre, il fit ce fameux tableau d’un Satyre joüant d’un flageolet et appuyé contre une colomne ; ce qui fut cause qu’on le nomma ANAPAUOMENOS [[1:c’est-à-dire, le Satyre se reposant]] ; l’on dit qu’il avoit representé sur la colomne une caille si bien faite, qu’on vit plusieurs de ces oiseaux voltiger à l’entour d’elle.
Alors regardant Pymandre qui soûrioit : je croy bien, luy dis-je, que vous n’adjousterez pas plus de foi à cette histoire qu’à celle des ouvrages de Zeuxis et de Parrhasius ; mais comme je n’ay pas entrepris de vous persuader, il me suffit de vous divertir par le recit de plusieurs choses extraordinaires, où vostre esprit est entierement libre de prendre tel party que bon luy semble.
Dans :Protogène, Satyre et parergia(Lien)
(Premier Entretien), p. 70
Ce dernier estoit un homme d’esprit et de jugement, qui faisoit tous ses ouvrages avec art et science. Le tableau qu’il fit d’un Cyclope et celuy du sacrifice d’Iphigénie ont esté si celebres et si loüez par les meilleures plumes de l’Antiquité, qu’il n’y a personne qui sur le rapport des historiens n’en conçoive une estime tres-particuliere.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
(Premier Entretien), p. 66
[[4:suit Zeuxis Hélène]] Neanmoins le tableau où il representa un Athlete, fut celui de tous qu’il estima davantage, et qui passa dans son esprit pour son chef-d’œuvre. Car croyant ne pouvoir rien faire de mieux, il osa bien le proposer comme un défy aux plus excellens peintres de son temps, en écrivant au bas, qu’il s’en trouveroit sans doute plusieurs qui y porteroient envie, mais qu’il ne s’en trouveroit point qui pust l’égaler. [[4:suite : Zeuxis richesse]]
Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)
(Premier Entretien), p. 67-68
Il eut neanmoins pour concurrent Parrhasius qui le vainquit dans une gageure qu’ils avoient faite à qui representeroit le mieux la verité de quelque chose ; et cette histoire est si celebre que chacun sçait que Zeuxis ayant exposé en public un tableau, où il avoit si bien peint des raisins que les oiseaux venoient pour les bequeter, Parrhasius en fit apporter un autre où estoit un rideau si artistement fait, que Zeuxis y fut trompé le premier car le voulant tirer pour voir l’ouvrage qu’il croyoit être caché au dessous, il receut la honte de s’estre mépris, et avoüa que Parrhasius l’avoit vaincu.
Je pense, dit alors Pymandre, que ces messieurs les historiens nous en font accroire ; car ou les oiseaux de ce temps-là avoient les sens beaucoup moins subtils que ceux d’apresent, ou bien ceux d’aujourd’huy ont bien plus de jugement pour ne se méprendre pas, puisque nous ne voyons point qu’il y en ait qui s’arrêtent non seulement à des fruits peints sur une toile, mais mesme à ceux qui sont de relief, et qui ont la forme et la couleur des fruits naturels.
Si vous croyez, repartis-je, en riant, que les oiseaux d’à cette heure aient plus de discernement que ceux du temps dont je parle ; il faut donc croire aussi que les hommes d’alors avoient la veuë moins délicate que ceux d’apresent, puisque Zeuxis lui-même tout habile qu’il estoit se trompa au tableau de Parrhasius ; mais estant difficile de donner son jugement sur les ouvrages de ces anciens peintres, puis qu’il ne nous en reste rien que nous puissions confronter avec les modernes, je pense qu’il nous est libre d’en avoir telle opinion que bon nous semble. Neanmoins comme l’on voit encore aujourd’huy certaines peintures qui trompent les yeux des hommes et le sentiment des bestes, je ne croy pas que l’on doivent douter que celles des Anciens ne fissent un semblable effet, puisque mesme il y a des tableaux fort mediocres en bonté, dont le sujet se trouve propre à tromper la veuë de ceux qui les voyent, plustost que ne feroient d’autres ouvrages plus excellens.
Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)
(Ier Entretien), p. 66
Et pour vous dire quelque chose des plus beaux ouvrages de Zeuxis, on estime particulierement une Atalante, dont il fit present aux Agrigentins en Sicile ; un dieu Pan qu’il donna au Roy Archelaüs ; et cette admirable figure qu’il peignit pour ceux de Crotone, en laquelle il fit paroistre ce qu’il y avoit de plus parfait dans les plus belles filles de la Grece. [[4:suite : Zeuxis Athlète]]
Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)
(IIe Entretien), p. 92
Sçavez-vous, me dit-il, que j’ay de la peine à ne pas croire qu’il ne soit de la peinture ainsi que de toutes les autres choses pour lesquelles on a toûjours une haute estime dans les temps où elles sont en crédit ? Car lorsque je regarde tant de rares tableaux que l’on fait aujourd’huy, et que je pense encore à ceux que nous avons veus autrefois à Rome, je ne puis m’imaginer que les Appelles et les Protogenes en ayent fait de plus excellens que ceux-là.
Quand nous n’aurions pas, luy repartis-je, le témoignage des plus savants historiens de l’Antiquité, vous sçavez bien que par les statuës qui sont demeurées entieres jusqu’à present, nous pouvons juger du merite des peintres de ce temps-là qui assurément n’estoient pas moins habiles que les sculpteurs, puisque les uns et les autres prenoient tant de peine à se rendre sçavants. Car si Zeuxis apporta un si grand soin à bien observer dans les filles de la Grece les mieux faites, ce qu’elles avoient de plus parfait et de plus agréable pour representer cette fameuse image d’Helene, il ne faut pas douter que les autres peintres qui étoient alors en grande reputation ne travaillassent de même à rendre leurs ouvrages accomplis. Mais nous pouvons dire que des peintres modernes il n’y en a guere qui se rendent aussi considerables que ces Anciens, parce qu’il y en a peu qui s’adonnent comme ils devroient à l’étude d’un art qui demande une si forte application.
Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)
(Premier Entretien), p. 67
Lorsqu’il fut devenu fort riche, il ne travailla plus que pour la gloire ; et estimant ses tableaux sans prix, il les donnoit liberalement aux princes, et aux villes qui avoient le plus d’admiration pour ses ouvrages.
Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)